La première liste magique

J’ai appris à coder sur Myspace durant l’été 2006 (bon, si on peut appeler ça « coder »).
Il s’agissait de personnaliser son profil en éditant des codes pour que les bandeaux clignotants et immondes des fournisseurs n’apparaissent pas sur ta page, que tu t’appliquais à rendre la plus classe possible.

La mienne avait un fond bleu marine, des photos en noir et blanc. Le seul truc qui clochait était mon URL, personnalisé lui aussi. J’avais perdu un pari face à Marc, camarade de thèse avec lequel je faisais constamment le concours du titre le plus abscons pour nos publications scientifiques dans des revues. Je me rappelle que pour un article sur la pop culture et la reproductibilité de l’art, il avait trouvé « Kitsh ou double« . J’étais jalouse comme un pou. Une petite pou.

Bref, j’avais perdu un pari et j’avais hérité, non sans contrariété, de l’URL suivant : https://myspace.com/gerardu

Gerardu. Ge. Rar. Du.

Gérard avec un « u » à la fin.
J’avais perdu un pari et Marc avait été d’une exigence absurde pour que le tarif s’applique.

– « C’est pas parce que t’es une nana que tu vas être dispensée de sentence« .

Ge. Rar. Du.

Le truc existe toujours. Je veux dire, le profil.

Je me suis reconnectée, guidée par la curiosité d’y retrouver à la même place le début d’une vie numérique, empreinte d’images re-codées via Photobucket et cousue de mots et de références de groupes comme l’est le corps (cousu) de son système nerveux. Rien n’avait bougé mais tout était différent.

J’ai cherché à liker des trucs, c’était assez nul en terme d’expérience utilisateur.

J’ai aussi appris à tenir un blog sur Myspace.

J’y ai vu immédiatement un support à l’expression de mes cartons de feuilles double remplies d’âneries de rêveuse et de textes plus resserrés alors que l’écriture change et que les feuilles double deviennent carnet, cahier, feuillets tapés à la machine, document Word sur un ordinateur.

Timide, pudique sur certains de ces aspects, je n’ai rien publié de ce j’avais écrit auparavant mais j’y faisais des tests. Sans TV, sans replay, je vivais dans un univers sonore toujours sur ON.

Et la musique ne venant jamais sans image, j’ai commencé à imaginer un début de film ou un générique de fin de film pour chaque chanson.

A chaque chanson, son flot d’images et de rêverie. Je trouvais ça fort, en termes d’émotions.

Puis ce fut l’inverse : les images, les souvenirs se ranimaient à l’écoute d’une chanson, d’une mélodie. J’en étais irriguée.

En me re-connectant sur Myspace, j’ai retrouvé une liste magique, la première chose que je publiais. J’avais cliqué sur Publish, quelque chose comme ça.

Puis j’avais attendu, les deux poings serrés sur ma bouche. Roulé une cigarette très probablement.

Et il ne s’est rien passé tout de suite. Je suis sortie, sans smartphone dans la poche (on est en 2006 les gars…).

Je suis rentrée, des amis ont écrit quelques commentaires encourageants. Un grand soupir.

J’avais publié mon premier texte. C’était une liste.

Plus tard, je me suis faite piquer l’idée. C’était bien, cela prouvait qu’elle était bonne. Mais ma liste, elle, c’est la meilleure.  Pour moi.

 

1er disque en 1992 : Strange Days, The Doors

1ère émotion en lisant Le Horla : Kashmir, Led Zeppelin

1er frisson d’ado dû à une intro. : Pinball Wizard, The Who

Chanson pour faire de la mobylette sur les plages du sud de la France quand j’ai 15 ans et que mon 1er petit ami ne sait pas la conduire, la mobylette : Heroes, David Bowie

Chanson pour arriver en gare de Berlin-Ostbahnhof à 8h du matin en plein hiver (-15°…) : India, Psychedelic Furs

Chanson pour me perdre dans la garrigue méditerranéenne en 1993 : Nashville West, The Byrds

Chanson qui confirme mon goût pour le garage rock : Marry me (Lie ! Lie !), The Birthday Party

Chanson pour me la raconter sur le dance floor : Dancin’ with tears in my eyes, Ultra Vox 

Chanson pour marcher dans la rue et croire que je suis dans le clip et que j’ai le 1er rôle, dans le clip : Poison Ivy, The Von Bondies

Chanson à bord de ma vieille 2CV, en été, le long des autoroutes du Sud, sous le soleil plombant, toutes vitres ouvertes… : Mother of earth, The Gun Club 

Chanson pour préparer du café les dimanches matins : Heartbreak hotel, Elvis Presley

Chanson pour avoir 20 ans toute ma vie : Gloria par The Doors

Chanson pour faire passer les pilules :  Teardrop, Massive Attack

Mais chanson pour en rajouter parfois une couche : This is hardcore, Pulp

Chanson pour s’égosiller quand je conduis ma vieille bagnole : Big Exit, PJ Harvey 

1ère chanson apprise par cœur : Die Befindlichkeit des Landes, Einstuerzende Neubauten (mais non enfin : elle est en allemand, dure 10 minutes et n’a pas de refrain…). Ce devait être un truc des Doors…

Chanson pour sourire dans le métro : Beat it, Michael Jackson

Chanson pour apprendre à danser à un enfant de 4 ans : At home he’s a tourist, Gang of Four

Chanson pour me faire tatouer : Mean Machine, The Cramps

Chanson pour fumer des cigarettes sur le bord de mon lit, par une nuit d’insomnie : Hurt par Johnny Cash (en général, ce n’est pas très drôle quand tu en arrives là)

1ères larmes de crocodiles (env. 16 ans) : Fool to cry, The Rolling Stones (l’imbécile était fan d’Iggy Pop…)

Chanson pour m’immobiliser au milieu des gens qui courent dans les allées de Châtelet-Les Halles à 8h du matin, le jeudi surtout : N°.13 baby, The Pixies

Chanson pour faire du vélo dans Paris la nuit : Spirit, Bauhaus

Chanson qui me donne envie de faire des listes débiles sur ma monomanie de la musique : Lost in music, Anita Lane

 

 

Cleyloser

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